Les faits de l’espèce
La société Apple Inc. avait sollicité l’enregistrement de la dénomination « iMessage » à titre de marque auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) pour désigner un ensemble étendu de produits et services relevant principalement des domaines informatique et des télécommunications. Cette demande visait notamment les logiciels, les services de télécommunications, la messagerie électronique, ainsi que les services de conception et développement de logiciels.
Le directeur général de l’INPI opposa un refus d’enregistrement fondé sur l’absence de caractère distinctif du signe au sens des articles L.711-1 et L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle. L’administration considéra que le terme « iMessage », phonétiquement identique à « e-message », serait perçu par le consommateur pertinent comme une désignation générique d’un message électronique, privant ainsi le signe de sa capacité à identifier l’origine commerciale des produits et services concernés.
La procédure devant la Cour d’appel
Contestant cette décision, la société Apple forma un recours devant la Cour d’appel de Paris, juridiction compétente pour connaître des recours dirigés contre les décisions du directeur de l’INPI en matière de marques.
La requérante développa une argumentation structurée autour de deux moyens principaux. D’une part, elle invoquait le caractère intrinsèquement distinctif du signe « iMessage », qu’elle présentait comme s’inscrivant dans une famille cohérente de marques caractérisées par le préfixe « i » et bénéficiant d’une notoriété internationale. D’autre part, elle soutenait que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage, en raison de l’exploitation intensive qui en avait été faite tant sur le plan publicitaire que commercial.
Le raisonnement juridique de la Cour
Sur l’absence de caractère distinctif intrinsèque
La Cour d’appel confirme l’analyse de l’INPI en appliquant rigoureusement les critères dégagés par la jurisprudence en matière d’appréciation du caractère distinctif. Les magistrats retiennent que le consommateur pertinent, défini comme le consommateur moyen de la catégorie de produits concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, appréhendera spontanément le terme « iMessage » comme une référence directe à un message transmis par voie électronique.
Cette perception immédiate prive le signe de sa fonction distinctive essentielle, qui consiste à permettre l’identification de l’origine commerciale des produits et services. La Cour souligne que le terme peut servir à désigner une caractéristique intrinsèque des services visés, soit en décrivant leur objet même, soit en définissant le moyen technologique utilisé pour leur fourniture, ce qui l’exclut de la protection au titre de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Sur l’argument de la famille de marques
La Cour examine avec attention l’argumentation d’Apple relative à l’appartenance du signe « iMessage » à une prétendue famille de marques caractérisées par le préfixe « i ». Cette théorie, développée par la doctrine et admise par la jurisprudence sous certaines conditions, permet exceptionnellement de conférer un caractère distinctif à un signe en raison de son rattachement à un ensemble cohérent de marques antérieures.
Cependant, les magistrats relèvent une faille déterminante dans cette argumentation. L’analyse des éléments de preuve révèle une incohérence typographique significative : les marques invoquées par Apple utilisent majoritairement un « i » minuscule (iPhone, iPad, iPod), tandis que le signe litigieux « iMessage » débute par un « I » majuscule. Cette différence graphique, corroborée par l’insuffisance des éléments probatoires produits, conduit la Cour à considérer que le consommateur pertinent ne sera pas en mesure d’établir spontanément un lien d’origine entre « iMessage » et les produits Apple.
Sur la prétendue acquisition du caractère distinctif par l’usage
La Cour rappelle les conditions strictes posées par la jurisprudence pour admettre l’acquisition du caractère distinctif par l’usage. Cette exception, prévue par l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, exige la démonstration d’un usage continu, intense et de longue durée du signe à titre de marque, c’est-à-dire dans une fonction d’identification de l’origine commerciale des produits et services.
L’élément temporel revêt une importance cruciale : le caractère distinctif doit avoir été acquis antérieurement au dépôt de la demande d’enregistrement. L’appréciation s’effectue au regard du public pertinent, en l’espèce le public français, qui doit être en mesure d’identifier les produits et services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.
L’examen des pièces produites par Apple révèle l’insuffisance de la preuve rapportée. La Cour constate que les éléments soumis ne démontrent ni l’usage effectif du signe « iMessage » à titre de marque, ni la capacité d’une partie significative du public français à identifier les services concernés comme émanant de la société Apple. L’usage établi à la date du dépôt s’avère insuffisant pour compenser l’absence de distinctivité intrinsèque du terme.
La portée de la décision
Confirmation des principes jurisprudentiels
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée constante de la jurisprudence française en matière de caractère distinctif des marques. Il confirme l’application stricte des critères d’appréciation et refuse toute complaisance à l’égard des signes descriptifs, fût-ce au profit d’entreprises jouissant d’une notoriété internationale.
La décision illustre également la rigueur avec laquelle les juridictions françaises examinent les arguments fondés sur l’appartenance à une famille de marques ou sur l’acquisition du caractère distinctif par l’usage. Ces exceptions au principe général demeurent d’interprétation restrictive et exigent une démonstration probatoire particulièrement solide.
Enseignements pour la pratique
Cette jurisprudence souligne l’importance cruciale de la stratégie de dépôt des marques, particulièrement pour les entreprises technologiques tentées par l’usage de termes évocateurs ou descriptifs. Elle rappelle que la notoriété d’une entreprise ne saurait, à elle seule, conférer un caractère distinctif à un signe intrinsèquement faible.
L’arrêt met également en lumière la nécessité d’une cohérence dans la politique de marques des entreprises souhaitant invoquer l’appartenance à une famille de signes. Les différences typographiques, même mineures, peuvent s’avérer déterminantes dans l’appréciation juridictionnelle.
Conclusion
Par cette décision, la Cour d’appel de Paris réaffirme l’exigence de distinctivité comme condition fondamentale de la protection par le droit des marques. Elle rappelle que cette exigence s’applique avec la même rigueur à tous les déposants, indépendamment de leur notoriété ou de leur position sur le marché. L’arrêt « iMessage » demeure ainsi un exemple topique de l’application intransigeante des principes du droit français des marques face aux tentatives d’appropriation de termes descriptifs.