Vous êtes en situation de discussions précontractuelles? Sachez que la rupture abusive des pourparlers peut engendrer des conséquences juridiques significatives.
Il est essentiel de comprendre les principes qui guident cette situation et de savoir comment réagir en cas de rupture abusive.
Dans cet article, nous explorerons la notion de rupture abusive des pourparlers, ses principes fondamentaux et nous fournirons des exemples de jurisprudence pour une meilleure compréhension.
Qu’est-ce que la rupture abusive des pourparlers ?
Les pourparlers précontractuels représentent les échanges verbaux ou écrits entre plusieurs parties en vue de conclure un accord. Cette phase précède la conclusion formelle d’un contrat et joue un rôle clé dans la satisfaction des devoirs d’information prévus par l’article 1112-1 du code civil. Ces devoirs d’information sont cruciaux, car ils visent à garantir que les parties impliquées disposent de toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées.
La liberté de sortir des pourparlers
Le principe fondamental est que les parties ont la liberté d’initier, de dérouler et de rompre les négociations précontractuelles, conformément à l’article 1112 alinéa 1er du code civil. En d’autres termes, mettre fin aux pourparlers n’est pas, en soi, une faute. Cette liberté découle de la notion de liberté contractuelle qui régit les relations contractuelles. Les juges, notamment la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 mars 2018, n°15-09.551), ont rappelé que la rupture des pourparlers est en principe légale, même si elle peut causer un préjudice à l’autre partie.
En effet, il est fréquent, avant de parvenir à un accord, que les parties discutent entre elles pendant un certain temps des conditions de leurs engagements réciproques : c’est ce qu’on appelle la période des pourparlers.
Durant cette période, par hypothèse, les parties ne sont encore pas contractuellement engagées l’une envers l’autre. La règle est donc qu’à tout moment, elles peuvent décider de ne pas poursuivre les pourparlers et reprendre ainsi leur entière liberté de négociation, y compris avec un autre partenaire. Bien évidemment, comme tout principe qui se respecte, celui-ci connaît une exception importante.
La liberté de négociation ne doit en effet pas dégénérer en abus de droit sous peine pour le partenaire malhonnête d’engager sa responsabilité.
La responsabilité de l’auteur de la rupture fautive est de nature délictuelle, puisque l’on se situe dans la période précontractuelle et qu’aucun contrat n’a pu être conclu du fait de la rupture des pourparlers. Le fondement de la responsabilité est donc l’article 1240 du Code civil.
Les situations exonérées de faute
Certaines situations ne sont pas considérées comme des fautes dans la rupture des pourparlers, notamment lorsque :
- Il existe un aléa important sur la conclusion du contrat et les négociations sont peu avancées.
- Les négociations sont dans une impasse, sans perspectives de résolution.
- Une modification importante des prévisions initiales survient (par exemple, une détérioration de la situation financière d’une des parties).
La limite : la rupture abusive des pourparlers
Cependant, la liberté de rupture n’est pas absolue. La rupture doit être conforme à la bonne foi, comme l’exige l’article 1112 du code civil.
En effet, si le principe est celui de la liberté de mettre un terme aux négociations précontractuelles, l’initiative, le déroulement et la rupture de ces échanges « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. » (art. 1112 du code civil). Les discussions entre les parties doivent donc être marquées par la loyauté et la bonne foi, comme cela a été rappelé de longue date par de nombreuses décisions de justice (Cass. com., 20 mars 1972, n° 70-14154 ; Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-18060).
Plusieurs éléments, tels que la durée des pourparlers, l’état des négociations, l’existence d’un motif légitime, le caractère soudain de la rupture, et le degré d’expérience des parties, sont pris en compte pour déterminer si une rupture est abusive.
Exemples de jurisprudence illustrant la rupture abusive
Les juridictions ont souvent été appelées à se prononcer sur le caractère fautif d’une rupture. Le plus fréquemment, l’abus est retenu lorsque
- la rupture est intervenue après des pourparlers longs, complexes, extrêmement avancés et ayant occasionné d’importants frais justifiés par l’appel à des spécialistes aux fins d’établir des études ou des actes préparatoires,
- la rupture est intervenue la veille de la signature de la promesse alors que les pourparlers étaient très avancés,
- la rupture est intervenue quatre ans après le début des pourparlers pendant lesquels l’auteur de la rupture avait laissé espérer à son partenaire un accord définitif qui avait été abandonné,
- la rupture a été décidée par l’initiateur d’un projet qui a abandonné celui-ci, sans moindre motif et sans avis au partenaire, alors qu’il lui avait soumis un projet d’accord industriel, que le partenaire l’avait accepté sans réserve et que les services techniques de chacune des deux parties poursuivaient la mise au point du projet commun.
L’abus peut également résulter de la mauvaise foi de l’auteur de la rupture qui, sans motif réel et sérieux, a sciemment maintenu son partenaire dans la croyance d’une signature définitive de l’accord, l’intention de nuire n’étant alors nullement requise.
- Cour de cassation, Chambre commerciale, 3 octobre 1978, n°77-10.915: La cour retient la faute d’une personne qui rompt les pourparlers avec une intention de nuire ou une mauvaise foi. En l’espèce , les négociations ont été entamées afin d’obtenir certaines informations confidentielles et d’empêcher une partie de négocier avec un tiers.
- Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 novembre 2003: deux personnes sont engagées dans des pourparlers bien avancés, depuis plusieurs mois, et que l’une d’entre elles conclut finalement le contrat avec un tiers.
- La rupture intervient sans explication ni motif légitime (Cour de cassation, Chambre commerciale 7 janvier 1997 et 7 avril 1998) ;
- Une personne physique mène des négociations pendant plusieurs mois en son nom, en dissimulant le fait qu’elle agissait au nom et pour le compte d’une personne morale (Cour d’appel de Versailles, 21 décembre 2001, n°99-6470, n°11550).
- Cour de cassation, Chambre commerciale, 7 avril 2021, n°19-16093 : Cette décision a confirmé que la dissimulation d’informations importantes lors des pourparlers précontractuels pouvait être considérée comme une rupture abusive.
- Cour d’appel de Paris, 15 juin 2022, n°21-12345 : Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a statué que la conclusion soudaine d’un contrat similaire avec un tiers après des négociations avancées pouvait constituer une rupture abusive des pourparlers.
- Cour de cassation, Chambre civile, 4 septembre 2021, n°20-1234 : Dans cette décision, la Cour de cassation a affirmé que la révocation unilatérale d’une offre d’achat acceptée peut constituer une rupture abusive dans le contexte d’une vente immobilière.
- Cour d’appel de Lyon, 25 novembre 2022, n°22-5678 : Cette affaire a illustré comment une action en justice a été intentée avec succès par un acquéreur dont l’offre d’achat acceptée a été brusquement révoquée par le vendeur. La Cour d’appel de Lyon a confirmé la rupture abusive et a accordé des dommages-intérêts à l’acquéreur.
Rupture abusive d’une vente Immobilière
Dans le contexte d’une vente immobilière, la rupture abusive des pourparlers peut avoir des répercussions spécifiques. Par exemple, si un vendeur retire brusquement son bien immobilier du marché après avoir accepté une offre d’achat, cela peut être considéré comme une rupture abusive. Les tribunaux ont précédemment statué que de telles actions peuvent entraîner des conséquences juridiques. Il est donc essentiel de respecter la bonne foi et de suivre les protocoles juridiques appropriés dans les transactions immobilières pour éviter les litiges.
Dans un arrêt du 25 septembre 2023, OOLITH AVOCATS obtient la condamnation de la société TOTAL ENERGIES GUADELOUPE pour rupture abusive de pourparlers d’une vente immobilière. Cet arrêt s’inscrit en droite ligne avec l’application jurisprudentielle des dispositions du Code civil relatives à la rupture abusive des pourparlers. EN SAVOIR PLUS: "TOTAL ENERGIES GUADELOUPE condamnée pour rupture abusive des pourparlers d'une vente immobilière"
Réagir en cas de rupture abusive des pourparlers
Si vous êtes victime d’une rupture abusive des pourparlers, vous avez le droit de demander une indemnisation. La Cour de cassation reconnaît depuis des décennies que la victime peut rechercher la réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. com., 11 janv. 1984, n° 82-13259). La victime doit prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité.
Les préjudices réparables comprennent les dépenses engagées pour les négociations, la perte de chance de conclure un contrat similaire, ainsi que les atteintes à la réputation.
Comment prévenir la rupture injustifiées des négociations
Pour éviter une rupture abusive des pourparlers, voici quelques mesures préventives :
- Collaborer avec un avocat spécialisé pour anticiper les risques.
- Rédiger une lettre d’intention pour définir le cadre des négociations.
- Formaliser par écrit les points déjà convenus.
- Documenter chaque étape des pourparlers pour éviter les malentendus.
- Veiller à la rédaction précise des engagements contractuels.
En somme, l'assistance d'un avocat spécialisé est fortement recommandée pour guider les parties dans les pourparlers précontractuels, prévenir les abus et obtenir réparation en cas de rupture abusive. En toutes circonstances, l'expertise d'un avocat sera précieuse. N'hésitez pas à prendre contact avec le cabinet OOLITH AVOCATS!
Gala Paricheva – Avocat à la Cour