Dans une décision de justice récente, que nous pensons inédite, la société AOFLO, assistée par Maître Gala Paricheva et Maître Isabelle Brunet d’Oolith Avocats, a obtenu la condamnation de France Télévisions pour atteinte aux droits d’auteur sur son modèle original OBAG, du fait de la production et de la diffusion d’un reportage mettant en scène un artisan contrefacteur. Le droit à l’information du public n’est pas susceptible d’écarter l’incrimination.

Cela fait des années que la jurisprudence admet l’existence d’exceptions au droit d’auteur, outre celles spécifiquement prévues par le Code de la propriété intellectuelle.

Dans son arrêt essentiel du 15 mai 2015 (Civ. 1, pourvoi n°13-27.391), la Cour de Cassation faisait déjà expressément état, au visa de l’article 10 de la CEDH, de la balance des droits lorsque le droit d’auteur et la liberté d’expression s’opposent.

Ce faisant, elle s’alignait sur la jurisprudence européenne, qui confirmait peu de temps avant qu’une condamnation en matière de contrefaçon constituait une restriction à la liberté d’expression. (CEDH 10-1-2013, n°36769/08, Ashby c. France).

De sorte qu’aujourd’hui, les tribunaux s’accommodent du jeu habile qui consiste à devoir rechercher l’équilibre des droits en présence pour déterminer la prévalence d’un droit sur l’autre lorsque se font face deux droits fondamentaux.

C’est d’ailleurs en appliquant strictement ce principe que, dans une toute récente décision, le tribunal judiciaire de Nanterre (Pôle civ. 1ère ch. 31 mars 2022), a rejeté les demandes d’un photographe à l’encontre d’un magazine de mode, jugeant qu’elles auraient constitué une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et, partant, auraient été contraire à l’article 10 de la CESDH.

Voilà qui est donc bien clair, lorsqu’il s’agit du droit d’auteur – qui, du reste, postule par nature la diffusion de la création protégée.

Mais voilà qui l’est beaucoup moins, lorsqu’il s’agit de diffuser non pas la création, mais une contrefaçon de la création : car alors, en pareille bévue, liberté d’expression ne saurait encore valoir, sauf à se satisfaire de vouloir informer le public des agissements des immoraux au préjudice des créateurs.

Ainsi, une chaîne de télévision se rend coupable de contrefaçon de droit d’auteur si elle produit et/ou diffuse dans un reportage ou une émission d’information la contrefaçon d’une œuvre originale, le droit à l’information du public n’étant alors pas susceptible d’écarter l’incrimination.

Par décision rendue par le Tribunal Judiciaire de Paris le 4 mars dernier, Maître Gala Paricheva et Maître Isabelle Brunet d’OOLITH Avocats obtiennent en effet la condamnation de France Télévisions pour atteinte aux droits d’auteur sur un modèle original, du fait de la production et de la diffusion d’un reportage mettant en scène un artisan contrefacteur.

Dans cette affaire, le cabinet OOLITH Avocats représentait la société française AOFLO, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits artisanaux destinés à l’habitat, ainsi que sa Présidente, la créatrice Madame A.. Cette dernière a conçu en 2009 un modèle d’emballage souple en forme de goutte destiné à habiller les poches des cubis de vin et d’autres boissons, commercialisé sous la marque OBAG. Ce modèle a fait l’objet d’un dépôt de dessins et modèle français et européen. 

Depuis sa commercialisation, le modèle OBAG, conçu, réalisé, confectionné et teint 100% à la main dans les ateliers parisiens de la société licenciée AOFLO, a connu un succès grandissant. Nouveauté, originalité, praticité, la presse s’est très vite fait l’écho de ce modèle unique, esthétique et ingénieux primé au Concours Lépine par une médaille AIFF et récompensé par Label « Fabriqué à Paris».

En décembre 2018, la société AOFLO a découvert la diffusion sur les chaînes France 3 de la société FRANCE TELEVISIONS ainsi que sur son site Web, une émission portant sur artisan faisant la promotion d’un modèle représentant la copie servile du modèle original OBAG.

Assistées par le cabinet OOLITH Avocats, la société AOFLO et Madame A. ont introduit une action judiciaire en contrefaçon de droits d’auteur, de dessins et modèles, de marque, ainsi qu’en concurrence déloyale, à l’encontre de l’artisan contrefacteur, des sociétés distribuant le modèle contrefaisant et de société FRANCE TELEVISIONS.

Des mois d’une bataille judiciaire pour une décision inédite du Tribunal Judiciaire de Paris du 4 mars 2022, en faveur des demanderesses, qui constitue une victoire à bien des titres.

1. La confirmation du caractère original du modèle OBAG et sa protection au titre du droit du droit d’auteur

Le Tribunal reconnaît l’originalité de du modèle OBAG de la société AOFLO et Madame A. et partant, son éligibilité à la protection légale au titre du droit d’auteur.

Nul n’ignore qu’en la matière, le succès n’est pas couru d’avance, a fortiori s’agissant d’un modèle industriel : encore faut-il procéder à la démonstration incontestable de son caractère original.

Chose faite en l’espèce, puisque selon les premiers juges :

« (…) L’originalité peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements, mais également de la combinaison originale d’éléments connus. La reconnaissance de la protection par le droit d’auteur ne repose donc pas sur un examen de l’œuvre invoquée par référence aux antériorités produites, mais celles-ci peuvent contribuer à l’appréciation de la recherche créative.

En l’espèce, les demanderesses revendiquent des droits sur un sac destiné à habiller les poches des cubis de vin et d’autres boissons créé en 2009. Plus précisément, elles revendiquent la combinaison des caractéristiques suivantes:

-des « O » et des ronds déclinés à travers le nom de la société AOFLO et de la marque « O’BAG » qui se retrouvent dans la forme du sac, -un emballage en forme de goutte, -une accroche en forme d’œillet dans la rondeur qui évoque le liquide, -l’insertion d’un passe-poil en courbes en référence à son savoir-faire de tapissier,

-un choix spécifique de fermeture à glissière, positionnée en diagonale pour donner à la forme pure et simple du relief, de la vie et une touche d’anti-conformisme,

-un choix dans l’emplacement de l’embout permettant la sortie du liquide de la poche, à l’extrémité de la fermeture, en bas à droite du produit, dans la même tonalité rouge que létiquette placée à lopposé,

-l’insertion de l’étiquette « OBAG » de manière visible et saillante pour donner une impression de symétrie entre l’embout et l’étiquette tout en poursuivant la ligne tracée par la diagonale,

-un support en métal brut brossé, dressé sur un socle en bois, qui reprend les formes arrondies, sur lequel s’attache le sac grâce au trou de son œillet.

Mme A. ajoute avoir voulu se libérer de la forme rectangulaire contraignante des cubis de vin pour utiliser une forme ronde, suggérant la douceur et la fluidité. Elle dit également avoir cherché́ à donner, grâce au support, une impression aérienne, de légèreté flottante contrastant avec la masse que représente le sac.

Si les défenderesses soutiennent que ces caractéristiques sont banales, force est toutefois de constater que les pièces qu’elles versent aux débats – au demeurant non datées – démontrent une variété d’outres à vin, de cubis, de sacs ou encore de poches de liquide parmi lesquels aucun ne reprend la combinaison des caractéristiques.

« Ainsi, l’association d’un sac en forme de goutte très épurédont l’œillet et la fermeture en diagonale se détachent,à un socle également très épuré et qui reprend les formes arrondies de lemballage, permettant de suspendre ce dernier, lequel ne peut être posé droit sur une table, résulte de choix arbitraires, témoignant de la recherche créative et esthétique particulière, relevant de l’empreinte de la personnalité de son auteur. Il en résulte que le sac revendiquéOBAG est original et bénéficie de la protection par le droit d’auteur ».

Ce à quoi s’ajoute la validité des dépôts des dessins et modèles OBAG non contestée, leur nouveauté et leur caractère individuel propre étant sans équivoque.

2. L’existence d’actes de contrefaçon de droit d’auteur, de dessins et modèle mais aussi d’actes de parasitisme économique à l’encontre de Madame A. et de la société AOFLO

Le Tribunal retient l’existence d’actes de contrefaçon de droits d’auteur et de dessins et modèle ainsi que de parasitisme économique commis par l’artisan et ses distributeurs du fait de la fabrication et la commercialisation d’une copie du modèle original OBAG.

« S’agissant tout d’abord de M. P. et des sociétés CYMAEL et AS DU VIN, il est établi, et confirmé par les défendeurs eux-mêmes, que le premier a créé un emballage permettant de contenir des poches de vin à la place des boîtes en carton de cubis sous le signe VINOBAG , et l’a commercialisépar l’intermédiaire des sociétés CYMAEL et AS DU VIN Or, il ressort du produit versé aux débats, ainsi que des procès-verbaux de constat des 10 et 19 décembre 2018 réalisés sur les sites internet www.france3- region.franceinfotv.fr et www.vino-bag.fr ainsi que sur la page Facebook VINOBAG , que le sac litigieux reprend lensemble des caractéristiques revendiquées par les demanderesses sur leur sac OBAG , les quelques différences relevées par les défendeurs tant des différences de détail, tenant au matériau utilisés ou la taille de la fermeture. Or, il a été vu précédemment que le sac OBAG était le fruit d’un travail créatif de sorte que la création par M. P et la commercialisation par les sociétés CYMAEL et AS DU VIN, du sac VINOBAG sont constitutives de contrefaçon de droit d’auteur.

Par ailleurs, ces différences minimes ne sont également pas susceptibles de conférer au sac litigieux une impression visuelle d’ensemble différente du modèle le n°001678624-0001 auprès de l’utilisateur averti – ici le consommateur de vin de table – de sorte que la commercialisation de l’emballage litigieux par M. PROVOST et les sociétés CYMAEL et AS DU VIN constitue également un acte de contrefaçon du modèle communautaire des demanderesses ».

Puis il juge que :

« elle (la société AOFLO) démontre avoir fait des investissements publicitaires depuis 2015 pour promouvoir le sac « OBAG », celui-ci étant notamment présent au sein de magazines, et ayant été exposé lors de salons (pièces DD n° 6 et 21). Cet emballage a également reçu le label « Fabriqué à Paris » en 2017 (pièce DD n° 7) ainsi que la médaille d’argent du Concours Lépine en 2019 (pièce DD n° 34). La société AOFLO démontre donc avoir fait du sac revendiqué une valeur économique individualisée. Ainsi, en commercialisant des sacs reprenant les caractéristiques de l’emballage « OBAG »,

M. P. , par l’intermédiaire de sa société, la société CYMAEL, a indûment profité des investissements consacrés par la société AOFLO dans la création et la promotion de ses sacs, mais également de la position qu’elle a acquise sur ce marché, de sorte que ces deux défendeurs se sont rendus coupables d’agissements parasitaires.

En revanche, la société AS DU VIN étant seulement distributeur des produits, sans qu’il soit démontré que celle-ci ait fait une quelconque publicité particulière pour la commercialisation des produits (laquelle commercialisation a été au demeurant très faible et localisée), il ne saurait être considéré quelle sest elle-même placée dans le sillage de la société AOFLO, et quelle sest donc rendue coupable d’actes parasitaires à son encontre ».

A la suite quoi, et bien logiquement, le Tribunal a interdit à M.P et ses distributeurs de fabriquer et commercialiser, à quelque titre que ce soit et sous astreinte, les produits reproduisant les caractéristiques du sac OBAG.

Il a en outre ordonné sous astreinte le rappel et la destruction, aux frais de M.P et de ses distributeurs, de l’intégralité des stocks de sacs contrefaisants, et il a condamné ces derniers à la réparation du préjudice économique des demanderesses du fait de la contrefaçon de droit d’auteur et de modèle communautaire.

3. L’acte de diffusion par une chaîne de télévision, d’un documentaire qui reproduit un sac contrefaisant, constitue en lui-même un acte de contrefaçon par représentation de droit d’auteur…

Le droit à l’information n’étant pas susceptible d’écarter l’incrimination.

Nous y revenons.

Résumons-nous : (i) la diffusion non autorisée d’une création n’est pas un acte de contrefaçon si le droit à l’information l’emporte ; (ii) la diffusion autorisée d’une création contrefaisante est un acte de contrefaçon que le droit à l’information ne peut pas emporter.

L’exercice est d’apparence subtil ; il ne répond au fond qu’à une implacable logique juridique que les juges, en l’espèce, n’ont pas hésité à mettre en œuvre.

Dans un premier temps ils ont considéré que le documentaire de FRANCE TELEVISIONS intitulé « Dijon : le “vinobag”, l’habillage 100 % made in Bourgogne ! », d’une durée d’une minute et 40 secondes, n’avait pas de vocation publicitaire ni promotionnelle, mais plutôt d’information du public, montrant le savoir-faire d’un artisan dijonnais centré sur la fabrication du « VINOBAG ».

Dans le cadre de sa défense la société FRANCE TELEVISIONS avait mis en avant le statut de sa chaîne France 3, dont l’une des missions telle que résultant du cahier des charges est la contribution « à la connaissance et au rayonnement des territoires », le reflet de « la diversité de la vie économique, sociale et culturelle en région, (…) y compris aux heures de grande écoute », ou encore le développement d’une « information de proximité » qui « rend compte des événements régionaux et locaux ». Elle considérait en conséquence qu’elle n’était pas coupable de contrefaçon du fait de la reproduction d’une marchandise contrefaisante dans le cadre d’un documentaire puisque l’objectif de ce documentaire avait pour but simplement d’informer le public sur un événement régional.

Mais, rejetant l’argument tiré de l’exception du droit à l’information, le Tribunal a retenu la responsabilité de la société FRANCE TELEVISIONS pour contrefaçon par représentation:

Toutefois, la diffusion de ce documentaire, en ce qu’il reproduit le sac contrefaisant, constitue en lui-même un acte de contrefaçon par représentation, qu’aucune des exceptions prévues à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle ne vient justifier au cas présent, le droit du public à l’information n’étant pas en lui-même de nature à autoriser une représentation sans le consentement de son auteur hormis dans un but exclusif d’information d’actualité immédiate et à la condition, non remplie en l’espèce, que soit clairement indiqué le nom de l’auteur (art. L. 122-5 9°) ».

Cette décision est, à notre connaissance, inédite, en ce qu’elle a eu à se prononcer sur l’hypothèse d’un reportage portant sur une contrefaçon par imitation d’un modèle original.

Le Tribunal a refusé d’appliquer au cas d’espèce la jurisprudence précitée sur l’exception d’information en général. Aiguillant la logique jusqu’à son bout, il a en outre refusé de transposer les dispositions relatives à l’exception d’information immédiate.

L’article L122-5 9° du Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que les titres de presse bénéficient d’une exception au droit d’auteur lorsqu’ils utilisent des œuvres « dans un but exclusif d’information immédiate».


Ces dispositions s’appliquent dans le cadre d’une reproduction non-autorisée d’une œuvre authentique par un organe de presse. Cette exception le dispense de formuler une demande d’autorisation et de s’acquitter de droits de reproduction si l’œuvre reproduite, ou son auteur, fait l’objet d’une actualité (ex : annonce d’exposition, inauguration, vernissage, etc.). En revanche, obligation est faite à l’organe de presse de mentionner le nom de l’auteur.

Or, d’une part, cette dernière condition est impossible à accomplir dans l’hypothèse d’une imitation contrefaisante de l’œuvre protégée. 

En l’espèce, l’émission de France 3 ne mentionnait par définition pas le nom de la créatrice du modèle original, puisque le reportage portait sur la fabrication par un artisan contrefacteur de la copie du modèle authentique.

D’autre part, l’émission ne portait pas sur une information immédiate au sens des dispositions de l’article précité.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal a condamné la société FRANCE TELEVISIONS à réparer le préjudice moral porté à la société AOFLO et Madame A. résultant de l’atteinte à leur droit d’auteur.

Cette décision devrait inviter tous médias presse ou diffuseurs de reportages, documentaires, thématiques, qu’ils soient économiques industriels ou encore culturels, à s’assurer du caractère authentique ou non-contrefaisant des produits ou services faisant l’objet de leurs émissions ou reportages, par des vérifications préalables ou par l’obtention d’une garantie formelle des personnes physiques ou morales concernées par l’émission.

Information sans précaution, et c’est le droit d’expression qui s’éteint.