Marque Fauré Le Page Paris 1717 : demande de nullité

Dans un contexte où les stratégies de marque jouent un rôle fondamental, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est appelée à se prononcer sur une question inédite : une marque peut-elle être qualifiée de trompeuse si l’information erronée porte non pas sur les caractéristiques des produits ou services, mais sur l’ancienneté ou la fiabilité de l’entreprise ? L’affaire Fauré Le Page, qui remet en question l’usage d’un héritage historique dans le branding d’une entreprise, pourrait bien redéfinir les contours de la législation européenne en matière de marques. La décision de la CJUE pourrait avoir des implications majeures, notamment pour les acteurs du secteur du luxe, où l’authenticité et la tradition jouent un rôle clé dans la perception des consommateurs.

Un débat juridique en mutation

La question préjudicielle, concernant la validité de la marque Fauré Le Page 1717, soumise à la CJUE soulève une problématique essentielle concernant la définition même d’une marque trompeuse. Traditionnellement, cette notion était associée aux caractéristiques des produits ou services offerts. Toutefois, le débat prend une nouvelle dimension lorsqu’il s’agit d’évaluer si une information fausse relative à l’histoire ou à la crédibilité d’une entreprise peut également être perçue comme trompeuse aux yeux du consommateur.

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne la société Fauré Le Page, initialement spécialisée dans la fabrication d’armes et de munitions, avant de se reconvertir dans la maroquinerie. Fondée en 1716 à Paris, la maison a cessé ses activités en 1992, ses actifs ayant été transférés à son unique actionnaire, la société Saillard. En 1989, cette dernière a déposé la demande de marque « Fauré Le Page » pour divers produits, notamment des armes et des articles en cuir.

En 2009, cette marque a été cédée à une nouvelle entité, Fauré Le Page Paris, créée la même année. Cette entreprise a par la suite déposé deux demandes de marques françaises en 2011, intégrant les termes « Fauré Le Page Paris 1717 » pour des articles de maroquinerie. Ces marques ont fait l’objet d’une contestation par la société Goyard ST-Honoré, qui en a demandé l’annulation, invoquant leur caractère trompeur au regard de l’ancienne Directive sur les marques (Directive 2008/95/CE), remplacée depuis par la Directive (UE) 2015/2436.

Cadre juridique de l’affaire Fauré Le Page Paris 1717

L’article 4(1)(g) de la Directive (UE) 2015/2436 stipule qu’une marque peut être refusée ou annulée si elle est « de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou l’origine géographique des produits ou services ». En complément, l’article 20(b) de la même directive prévoit la révocation d’une marque lorsque son usage induit en erreur après son enregistrement.

L’enjeu central réside dans l’interprétation de ces dispositions : une marque peut-elle être jugée trompeuse lorsqu’elle véhicule une information erronée sur l’ancienneté de l’entreprise, et non sur les caractéristiques intrinsèques des produits ou services qu’elle commercialise ?

Décision de la Cour d’Appel et recours en Cassation

La Cour d’Appel de Paris a invalidé les marques  » Fauré Le Page 1717″, considérant que cette mention induisait une fausse continuité entre la maison d’origine et la société actuelle. Elle a souligné que cette référence historique pouvait tromper le consommateur en lui laissant croire que l’entreprise exerçait une activité ininterrompue depuis le XVIIIe siècle et que son savoir-faire s’était transmis sans rupture.

Fauré Le Page Paris a contesté cette décision devant la Cour de cassation, avançant que l’article 4(1)(g) de la Directive exige une tromperie sur les produits et services eux-mêmes, et non sur l’histoire de l’entreprise.

La question préjudicielle posée à la CJUE de l’affaire Fauré Le Page Paris 1717

Face à cette incertitude juridique, la Cour de cassation a saisi la CJUE en posant deux questions essentielles :

  1. L’article 4(1)(g) doit-il être interprété comme couvrant également les références trompeuses à une date fictive dans une marque, lorsque cela influence la perception de l’ancienneté et du savoir-faire du fabricant ?
  2. Si la réponse à cette première question est négative, cet article peut-il néanmoins être appliqué lorsqu’il existe un risque que le consommateur attribue une notoriété et un prestige indu à l’entreprise en raison de cette information erronée ?
Lire: Arrêt de la Cour de Cassation du 4 juin 2024 - Fauré Le Page Paris 1717

L’affaire Fauré Le Page Paris 1717: vers un changement de paradigme ?

La réponse de la CJUE dans cette affaire pourrait modifier en profondeur les règles encadrant la notion de marque trompeuse. Si elle considère qu’une référence historique fausse peut être trompeuse, cela contraindrait les entreprises à revoir leurs stratégies de marque et à s’assurer que leurs références au passé ne puissent être perçues comme trompeuses.

Dans le secteur du luxe, où l’authenticité et l’héritage jouent un rôle essentiel, les conséquences pourraient être majeures. Les marques devront adopter une approche plus prudente dans l’utilisation d’éléments historiques et s’assurer d’une transparence totale dans leur communication.

Cette affaire met en lumière l’importance croissante de la protection des consommateurs contre les pratiques commerciales trompeuses et souligne la nécessité pour les entreprises de veiller à l’exactitude des informations véhiculées à travers leur marque.

Affaire à suivre…

Lire aussi: "Annulation d’une marque : comment l’INPI apprécie les motifs relatifs et absolus de nullité" 

G. PARICHEVA Avocat à la Cour